Retraite, pour un vrai débat

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La question que nous devons nous poser n’est pas celle des retraites mais plutôt celle du partage du travail entre les français. Le débat sur les retraite n’est qu’un des aspects de la question et l’aborder sans prendre la problématique dans son ensemble ne résoudra pas le problème du financement. Toutefois, notre gouvernement prisonnier de ses dogmes, travailler plus pour gagner plus, pas d’augmentation des impôts, est incapable de penser correctement. Le débat qui s’ouvre est important et chacun de nous doit se mobiliser. Analyse et propositions.

Un problème mal posé

La question du financement des retraites est très loin de dépendre des seules variables démographiques et ce n’est pas tant la part des plus de 65 ans dans la population qui compte que le rapport entre leur nombre et celui des personnes qui occupent un emploi, ou plus généralement ceux qui cotisent. Et de manière encore plus globale, le rapport entre le nombre de personnes qui n’ont pas d’emploi et celui de ceux qui travaillent. C’est en effet en prélevant une part de la richesse que produisent les personnes actives occupées qu’on finance les retraites et plus généralement ceux qui n’ont pas d’emplois.

En France, on comptait en 2008 39 adultes de 15 à 65 ans pour 10 personnes de plus de 65 ans, mais seulement 24 d’entre eux occupaient un emploi (en équivalent temps plein). En Allemagne, on se situe même déjà en dessous de 2 pour 1. Cette manière d’analyser le problème change radicalement les analyses, et donc le solutions. En effet, ce ratio est quasiment stable et en 1995 nous avions en France déjà 25 personnes en emploi pour dix personnes de plus de 65 alors que sur la même période le ratio entre l’ensemble des 15-64 ans et celui des plus de 65 ans est tombé dans le même laps de temps de 44 pour 10 à 39 pour 10. Autrement dit, grâce au développement important de l’emploi intervenu entre-temps, la part des richesses prélevées pour financer les retraites a pu rester quasiment stable malgré un vieillissement déjà significatif de la population. Nous avons encore de la marge car le taux d’emploi des 25-49 ans n’est encore que de 77% en équivalent temps plein en France.

La détérioration observée depuis 2008 est due non au vieillissement de la population mais à la détérioration de l’emploi pour les moins de 65 ans, comme c’est le cas pour la sécurité sociale.

Par ailleurs, la durée totale de travail mesuré sur l’ensemble de la vie a considérablement diminué depuis un siècle. Elle est passé de 150 000 heures en moyenne en 1900 à 60 000 aujourd’hui. Cette baisse ne s’est pas traduit par une moindre création de richesses mais a été rendue possible par les gains de productivité (productivité des salariés, innovations technologiques et ‘évolution des modes d’organisation. La tendance historique est à la réduction du temps consacré à l’activité professionnelle tout au long de la vie : gagner plus en travaillant moins, le contraire du discours de Nicolas Sarkozy.

La vraie question est donc : comment dans une société qui réalise toujours plus de gains de productivité partage-t-on le travail et la richesse produite ?

La France, une situation particulière

La situation de la France est assez différente de celle de ses voisins européens :

  • Sur le plan démographique, la France se trouve dans une situation très différente de la plupart des autres pays développés. En effet, en France en 2009 si l’on regarde l’ensemble des femmes le taux de fécondité est de 2 enfants, taux qui est en progression depuis le début des années 90s. Ce chiffre passe même à  2,1 enfants si on regarde  les femmes ayant atteint la ménopause du fait que les femmes ont leurs enfants de plus en plus tard. A titre de comparaison, les taux de fécondité des autres pays développés sont beaucoup plus bas : 1,32 au Japon, 1,33 en Allemagne, 1,35 en Italie, 1,38 en Espagne… Aussi, si la France est concernée le vieillissement, elle l’est dans des proportions qui sont et resteront dans l’avenir prévisible nettement moins importantes que la plupart de ses voisins et la dégradation du rapport entre le nombre de personnes d’âge actif et celui des personnes âgées inactives a pour cause le départ à la retraite des générations du baby-boom.
  • Sur le plan de l’emploi, en 2007 la France était le pays qui avait l’une des productivités horaire la plus élevé au monde avec les Etats-Unis et même avec les 35 heures, la productivité de la France par personnes occupée était dans les plus importantes (UE -13% par rapport à la France). Avec les mesures sur les heures supplémentaires prises par Nicolas Sarkozy et la baisse structurelle du temps de travail dans les autres pays, la productivité par personne occupée a sans doute encore augmenté comparativement aux autres pays.

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Les causes des problèmes du financement des retraites est donc différent en France par rapport aux autres pays.

Une approche inadaptée

Pour justifier sa réforme, le gouvernant met en avant des scénarios à quarante ou cinquante ans censés démontrer l’inéluctabilité des mesures impopulaires proposées. Mais les hypothèses qui les fondent se révèlent généralement extrêmement fragiles et ne sont pas adaptés à la situation de la France. La comparaison avec l’Allemagne ou l’Espagne qui devrait portée l’âge de départ en retraite à 67 ans en 2029 ne vaut pas.

Même par rapport aux réformes de 2003 et 2008 qui avaient été bâties sur l’hypothèse d’un reflux rapide du chômage, voire sur la crainte d’une pénurie de main-d’œuvre du fait du départ des papy-boomers, nous sommes dans une situation nouvelle marquée par le regain massif de chômage, chômage qui n’a guère de chance de refluer à court terme. Aussi, la voie engagée depuis 1993, en allongeant encore les durées de cotisations exigées pour une retraite à taux plein, voire en reculant l’âge minimal de départ en retraite semble une solution inadaptée à la situation actuelle.

La crise oblige à repenser les options

Le gouvernement semble, prisonnier de ses dogmes et erreurs passées, incapable de penser une solution nouvelle. Or la crise survenue depuis deux ans a significativement le ratio emplois/retraités, creusant un trou de l’ordre de 5% dans le financement des retraites. Se contenter d’allonger les durées de cotisation pour obliger les gens à partir plus tard, repousser l’âge légal de départ comme cela est envisagé aujourd’hui, sans être en mesure de doper l’emploi, améliorerait certes la situation comptable des régimes de retraite mais reviendrait surtout à maintenir une partie des séniors plus longtemps dans une situation précaire. Et ceux qui resteraient plus tardivement en emploi, réduiraient les places disponibles pour les jeunes. Cela ne ferait qu’amplifier une tendance déjà à l’œuvre du fait des réformes déjà conduite : le taux d’emploi des 55-64 ans a augmenté de presque un point entre fin 2007 et fin 2009, alors que, parallèlement, celui des jeunes de moins de 25 ans a baissé d’un point et demi, une aberration en termes d’investissement d’avenir.

Les trois conditions pour une réforme réussie

La réforme des retraites doit prendre la problématique dans sa globalité et dessiner un cycle de vie plus cohérent avec les aspirations et les rythmes individuels. Dans ce cadre, et ce cadre seulement, une prolongation de la durée de la vie active serait envisageable voire souhaitable. Mais pour cela il faudrait que soit rempli trois conditions.

  • L’emploi : Travailler plus longtemps n’est une « option » que pour ceux qui ont un emploi. Pour les autres, cela reviendrait souvent à être chômeur plus longtemps. Un décalage croissant sépare d’ailleurs aujourd’hui la cessation définitive d’activité et la liquidation des premiers droits à la retraite. Aussi, une réforme de la retraite nécessite une politique en faveur de l’emploi c’est-à-dire l’abandon du principe « travailler plus pour gagner plus ». En effet, la loi sur les heures supplémentaires coûte à la France 500 000 emplois : 400 000 pour les heures supplémentaires et 100 000 pour le coût de cette mesure.
  • La prise en compte de la pénibilité : Pour travailler plus longtemps, il ne suffit pas d’avoir un travail ; il faut être en capacité de l’exercer. De plus, l’espérance de vie à 60 ans est très différente entre les catégories sociales : selon l’Insee, l’espérance de vie d’un ouvrier est de quatre à cinq ans inférieure à celle d’un cadre. L’allongement de la vie active risque donc d’être très inégalement vécu. La perception sera très différente entre professeur des universités par exemple  et pour un ouvrier du bâtiment, une aide-soignante contrainte au travail de nuit. Aussi, faudrait-il que les entreprises offrent à leurs salariés vieillissants des emplois adaptés si l’on veut pouvoir allonger leur carrière, mais que ceux qui ont subi des conditions de travail difficiles se voient proposer des transitions appropriées vers la retraite ou qu’ils puissent partir plus tôt. C’est pourquoi les syndicats avaient exigé une concertation sociale sur la pénibilité en complément de la réforme des retraites de 2003. Or pour le moment, celle-ci n’a rien donné, contrairement aux engagements de François Fillon.
  • L’harmonisation des temps sociaux : Le travail n’est pas l’unique souci de l’existence. Il doit cohabiter avec d’autres besoins et d’autres temps sociaux: la famille, la formation, le loisir… Toutefois il n’est pas toujours aisé de concilier les différents temps sociaux, notamment le travail et les tâches familiales. Dans les années 1960, cette conciliation était réalisée par une division des tâches au sein du couple : les hommes ramenaient un salaire tandis que les femmes pourvoyaient aux tâches domestiques. Si l’on veut favoriser des combinaisons plus harmonieuses, ce n’est pas seulement la durée totale du travail sur l’ensemble de l’existence qui compte, mais sa répartition tout au long du cycle de vie. Travailler plus longtemps ne signifie pas nécessairement travailler plus, mais peut-être autrement et un peu moins chaque année quitte à sortir de la vie active plus tard.

Trois conditions qui semblent très éloignées des positions du gouvernement. C’est tout l’enjeu du débat actuel. C’est pourquoi le calendrier proposé par le gouvernement est inadapté. C’est pourquoi une mobilisation de tous est importante.

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