Comment vivre le politique ? Les faits montrent que l’équilibre que nous évoquions dans la première partie de ce post est difficile à trouver et que les dérives sont nombreuses. Comment le vivre comme citoyen faisant parti de la société civile, du « peuple » ? Quelle relation entre le peuple et ses représentants ? Quel rôle pour les politiques ? Je vais essayer de répondre à ces questions et mettre en avant les tensions que cela créé en m’appuyant sur le cadre défini dans la première partie, à partir d’exemples actuels ou passés, de mes convictions et de mes perceptions. Après la théorie…
passons à la pratique.
Les citoyens et la société civile
A titre personnel, nous interagissons dans l’ordre de l’éthique (ce qui est bon ou mauvais, pour moi), l’ordre de la morale (ce qui est bien ou mal, pour moi), l’ordre du politique (ce qui est permis ou pas) voire dans l’ordre économico-scientifique (ce qui est vrai ou faux). Concernant le politique, nos choix peuvent être conditionnés par au moins trois éléments :
- La/ma morale, je choisi tel ou tel politique parce qu’elle est porteuse des valeurs qui fondent ma morale.
- Le réalisme, je choisi tel ou tel politique parce qu’elle propose une politique qui intègre bien l’ordre économico-scientifique.
- Le pragmatisme, je choisi tel ou tel politique parce qu’elle est celle qui a le plus de chance de pouvoir mettre en œuvre le programme le plus en accord avec mes convictions.
Les choix que nous faisons sont fonctions des poids respectifs que nous accordons à ces différents éléments.
J’ai eu pendant longtemps du mal à accepter que l’on puisse avoir des valeurs humanistes et voter pour Sarkozy tellement sa politique m’en semble éloignée alors que je connais de nombreux de ses électeurs qui, bien que partageant mes valeurs, ont voté pour lui parce que ils considéraient qu’il était le seul à proposer un programme économique réaliste, et ce même s’ils étaient en désaccord avec ses autres positions. Ce fut le choix d’une Simone Weil qui était opposée à la création d’un ministère de l’identité nationale et de l’immigration et qui ne peut pas être soupçonnée de ne pas avoir de morale. Je pense même que nous partageons, presque tous, les mêmes valeurs et que ce qui fait la différence c’est les poids respectifs que nous accordons aux différents éléments, la gauche accordant un poids plus important à la morale, la droite à l’économie.
Combien d’électeurs se posent à chaque élection la question du vote utile : dois-je voter au premier tour en fonction de mes convictions ou pour celui qui a le plus de chance de mettre en place une politique proche de mes convictions ? Combien d’électeurs ont-ils regretté leur vote du premier tour aux élections présidentielles de 2002 ?
Ces exemples montrent que nos décisions en tant que citoyen sont le résultat d’un processus complexe, de choix et renoncements, parfois douloureux. Or, nous avons tendance à confondre décisions et convictions. Cela nuit aux relations entre personnes et aux débats. En effet, nier aux personnes qui ont choisi le réalisme le fait qu’elles ont des valeurs, c’est nier ce à quoi ils ont dû renoncer et qui bien souvent leur a coûté, c’est nier leur personnalité. Ce faisant, on comprend mieux leur propos quand ils accusent la gauche d’être moralisatrice et de manquer complètement de réalisme économique. Inversement, nier aux personnes qui ont choisi la morale tout sens économique, c’est nier le fait qu’elles ont bien souvent renoncé à une part de leurs valeurs par réalisme. Ce faisant, ont comprend mieux leur propos quand ils accusent la droite de n’avoir aucune valeur.
Personnellement, être dans l’ordre politique c’est bien faire la différence entre les choix et les convictions, entre morale et politique. Cela permettrait sans doute d’avoir des débats politiques plus constructifs, moins passionnels et d’inventer de nouvelles solutions à la fois plus respectueuses de la morale et plus efficaces économiquement.
Les politiques.
En tant que citoyen, ils sont soumis aux mêmes tensions que nous : morale, réalisme et pragmatisme avec un équilibre et une dynamique différents. En effet, l’égo renforce le poids du pragmatisme et modifie sa perspective. Il renforce le poids du pragmatisme car l’envie d’être élu, le goût du pouvoir font que mes convictions (mes valeurs, ma doctrine économique…) risquent d’être moins prépondérantes dans mes décisions. Il modifie la perspective car le pragmatisme porte moins sur l’application d’un programme conforme à mes convictions qu’à mon élection.
Par ailleurs, dans nos sociétés occidentales, la fin des utopies, l’affaiblissement des idéaux et la mondialisation de l’économie a modifié l’équilibre qui prévalait depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Du côté des citoyens :
- les valeurs humanistes issues des religions, du siècle des lumières, de la révolution sont de moins en moins partagées. On assiste à une montée de l’individualisme, des égoïsmes et du besoin de sécurité. Décomplexé, la part d’ombre de chacun prend le dessus sur la morale ;
- la conviction qu’il existe un modèle différent du capitalisme, voire du libéralisme, et plus humain à quasiment disparu suite à la chute du mur de Berlin et la diffusion par les médias de la pensée unique libérale.
Du côté des politiques et des gouvernants :
- La perte de pouvoir face à une économie de plus en plus mondialisée a renforcé le poids du réalisme économique et a conduit les politiques, même de gauche, à arbitrer, renoncer à leurs valeurs ;
- La montée des individualismes a conduit les politiques à adapter leur discours aux nouvelles attentes des électeurs au mieux par pragmatisme, voir par populisme.
Dans un tel contexte, nous observons depuis le début des années 90s à une dérive progressive de tout les partis vers la droite, vers un poids de plus important au réalisme. Aujourd’hui, nous vivons dans une société dans laquelle l’ordre économico-scientifique fait plus qu’éclairer l’ordre économique mais exerce une tyrannie de plus en plus importante sur le politique. Cette tyrannie s’exerce directement via le lobbying, les liens avec les politiques (le club du Fouquets), le financement de la recherche en économie et indirectement via le contrôle des médias, télévision, presse, radio… qui diffusent des messages servant leurs intérêts comme la pensée unique libérale. A l’inverse, on a l’impression que la morale n’arrive plus à éclairer le débat politique. Ceux qui s’en prévalent sont mis dans le même sac que la pensée unique. La votation sur les minarets en Suisse montre où peut conduire la dérive actuelle. Rappelons-nous qu’Hitler a été démocratiquement élu !
Dans un tel contexte, les politiques font un arbitrage entre deux options opposées.
- Soit, comme acteur de la société civile, ils contribuent à l’émergence d’une nouvelle morale qui permettrait à chacun de dominer leur part d’ombre et d’exprimer ce qu’il a de meilleur en lui, ils aident les individus à dépasser leurs peurs, à transcender leur part d’ombre, ils font de nous des hommes responsables. Ils prennent place au côté des intellectuels, philosophes, associations. On pourrait même rêver d’une morale moins fondée sur les interdits et plus sur l’amour et l’éthique dans laquelle la part d’ombre ne serait pas niée, refoulée mais reconnue et ainsi gérée par chacun de nous. Ils proposent des solutions permettant de mettre l’ordre économico-scientifique au service du bien-être de la société. Comme dans les arts martiaux, ils utilisent les forces de l’autre pour arriver à ses fins.
- Soit, comme politiciens avec comme unique objectif l’élection, ils flattent la part d’ombre qu’il y a en chacun de nous, ils nous décomplexent par rapport à la morale et osent dire tout haut ce que nous n’osons pas dire, ils montrent du doigt ces intellectuels, ces « Droit-de-l’hommistes », ils nous poussent à nous comporter en victime et nous proposent des boucs émissaires responsables de tous nos problèmes, ils font du populisme à tout va. Ils font alliance avec les milieux économiques qui, par leur puissance, peuvent les aider dans leur quête de pouvoir et soumettent ainsi l’ordre politique à l’ordre économique. Cette collusion se traduit par l’omniprésence de la pensée unique libérale, de l’insécurité, des dénonciations des profiteurs du système, des boucs émissaires dans les médias. Au moindre fait divers, ils prennent la parole au côté des victimes pour, non seulement partager leur peine, mais surtout pour dire que leur désir de vengeance sera bien assouvi et expliquer qu’ils feront tout pour protéger les individus contre ces dangers, à n’importe quel prix sur les libertés et les droits de l’homme. Dormez bien bonne gens, l’état veille sur votre sécurité.
La dernière campagne présidentielle a été particulièrement marquée par ces deux approches. D’un côté, Nicolas Sarkozy a systématiquement désigné des boucs émissaires, les immigrés, ceux qui se lèvent tard, ceux qui profitent du système, la racaille et a eu des discours qui ont décomplexé non seulement les électeurs du Front National, mais aussi, surtout, tous ceux qui travaillent dure et ressentent un sentiment d’injustice par rapport à ceux qui profite du système de solidarité, tous ceux qui souhaitent plus d’individualisme et moins de solidarité, les égoïsmes que nous avons tous dans notre part d’ombre. A l’inverse, Ségolène Royale mettait en avant les notions de fraternité, de solidarité et d’amour. Au-delà de sa crédibilité politique et économique, son discours était emprunt d’une certaine naïveté. Mais quand on regarde les deux derniers meetings de campagne des candidats, d’un côté pas de joie, de l’autre un meeting plein de ferveur, de joie et ce même le soir de la défaite. D’un côté des forces de vie, de l’autre des forces de mort.
La responsabilité n’est pas du côté des seuls politiques, en élisant Nicolas Sarkozy la société civile lui a, malheureusement, donné raison. Les divisions de la gauche, les jeux personnels ont sans doute fait la différence. En tirons nous les conclusions, nous sommes en droit d’en douter. Si nous continuons de la sorte, nous seront encore victime de nous même et auront Nicolas Sarkozy 5 ans de plus. Devenons responsable et un peu plus pragmatique, mettons la politique politicienne de côté, mettons la politique moralisatrice de côté et peut-être éviterons nous un deuxième quinquennat.
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