Dans sa logique de performance, le gouvernement de Nicolas Sarkozy veut mettre en place des primes collectives « au mérite » dans la fonction collective. Cette approche est la suite logique de la mise en place d’indicateur de performance et vise à mieux maîtriser les coûts. Nicolas Sarkozy y croit, pas l’OCDE. La question annexe est, n’est-ce pas pareil dans les entreprises privées ? Oui, c’est pourquoi il est urgent de changer de modèle.
Il y a un an, l’OCDE a fait le point sur les réformes de la fonction publique initiées dans les pays développés depuis une vingtaine d’années. Il a passé en revue les résultats des pays qui ont eu recours à l’intéressement des fonctionnaires sous la forme de primes individuelles ou collectives. Le rapport publié par l’OCDE est sans ambiguïtés: à force de vouloir motiver les fonctionnaires par des primes à la performance, on les a au contraire plutôt démotivés !
Surprenant comme résultat pour une organisation plutôt connue pour ses positions libérales. C’est ce qui en fait la valeur ; on ne peut pas les soupçonner de dérive gauchiste. Comment explique-t-il cet échec ? Par un double contresens :
Le premier contresens consiste à croire que les indicateurs quantitatifs permettent de mesurer la/les performances. Or, ces indicateurs arrivent à bien mesurer la performance des tâches simples mais réduisent les tâches complexes à leur plus simple expression. Par exemple :
- Pour la justice, il est plus facile de mesurer la durée d’un procès que la qualité d’un jugement. Or, un jugement véritablement impartial exige a priori davantage de temps qu’un jugement expéditif. Une prime à la performance fondée sur des indicateurs de durée de la procédure risque de récompenser les services judiciaires les plus expéditifs.
- Pour les prisons, des économistes ont mesuré la performance des prisons privées aux Etats-Unis. Les incitations financières y fonctionnent à merveille et les indicateurs de coûts y sont meilleurs que dans les prisons publiques. Mais la violence y est plus importante, les droits de l’homme plus souvent bafoués…
- Pour les hôpitaux, une pénalité financière aux chirurgiens dont les patients décèdent conduit les médecins ne plus opérer les cas les plus délicats, devenus trop risqués pour eux comme à New-York. En France, la facturation à l’acte conduit les cliniques privées à n’accepter que les malades rentables.
- Pour l’école, comment mesurer la performance d’un enseignant…
Comme le montre ces exemples, la mise en place de ses indicateurs ont des effets pervers. Mettre en place des primes basées sur des indicateurs quantitatifs incite donc les salariés à allouer leurs efforts aux tâches mesurables où s’intéressent plus particulièrement aux dimensions mesurées des tâches plus complexes. La mobilisation de l’énergie se fait donc au détriment des aspects plus qualitatifs, aspects souvent les plus fondamentales pour la bonne marche du service. Si ces tâches plus qualitatives sont plus présentent dans les services publics, elles sont aussi présentent dans les entreprises privées, ne serait ce que pour le management.
Le second contresens consiste à penser que la principale source de motivation des personnes est de gagner plus. Travailler plus pour gagner plus, travailler « mieux » pour gagner plus. C’est le contre sens de l’élection de Nicolas Sarkozy qui n’a pas été élu à cause de ce slogan, mais par les conservateurs avec l’appui de jeune cadre supérieur. Les études montrent qu’il y a deux sources de motivation, nous faisons les choses soit pour les bénéfices qui les accompagnent soit parce que nous les aimons, parce qu’elles font sens pour nous. En principes ces deux motivations, salaire et plaisir, peuvent s’additionner. Toutefois, comme nous l’avons vu ci-dessus, quand le salaire dépend de la performance mesurée par des indicateurs quantitatifs, le salarié doit souvent arbitrer entre quantitatif et qualitatif entre salaire et travail « bien » fait, entre salaire et plaisir. Autrement dit, l’argent peut tuer le plaisir, le civisme ou encore la conscience morale. Ce sentiment revient de plus en plus souvent dans les propos des cadres et employés, ils ont l’impression qu’on leur demande de faire de la masse à la place de la qualité. Ce n’est une particularité de la fonction publique même si c’est dans ce secteur ou la qualité de service et la plus mis en avant. Dans une telle situation, l’argent devient une compensation, une drogue qui peut tuer petit à petit le salarié.
A une époque où on parle de qualité de service mais où les entreprises cherchent à faire des gains de productivité, les dirigeants du CAC40 feraient bien de lire ce rapport de l’OCDE car en plus du problème de motivation, leurs salariés vivent une schizophrénie de plus en plus difficile à supporter.
Sources :
« Formules de gestion de la haute fonction publique axées sur les performances », OCDE, 2007, disponible sur www.oecd.org/dataoecd/11/39/38990169.pdf
Le piège des primes, Alternatives Economiques mars 2009
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